Quatuor à cordes n°4 op. 42
(Omaggio a Beethoven — 1989-94/rév. 94-95)
(Editions Durand)

Mon quatrième quatuor, dédié au célèbre quatuor anglais Lindsay qui le créera au Festival de musique de chambre de Sheffield le 20 mai 1994, est né du choc éprouvé à l'audition de l'exécution intégrale des Quatuors de Beethoven par les quartettistes anglais lors du Festival de musique de chambre de Kuhmo 1989. Ce quatuor constitue un hommage à Beethoven comme l'attestent les abondantes citations de la Grande Fugue. C'est également un hommage à la postérité de Beethoven dans le domaine compositionel d'une part, à travers la citation d'un "geste" du Quatuor n°15 de Chostakovitch qui est — est-il besoin de le préciser ? —  l'un des plus géniaux "continuateurs" de Beethoven ; et dans le domaine de l'interprétation d'autre part, à travers la dédicace à l'un des plus géniaux interprètes de l'opus Beethovénien, le Quatuor Lindsay.

Cette œuvre est représentative d'une démarche esthétique tendant à synthétiser des styles d'écriture divergents, voire opposés, au sein d'un même organisme compositionnel. Mon parcours, jalonné de quelques quatre-vingt œuvres à ce jour, rend compte de prises de position esthétique successives, matière même de ce conflit esthétique qui est le centre nerveux de ma personnalité musicale. Cela a donné lieu à une première période marquée par l'école de Vienne et ses successeurs de 1980 à 1987 et une deuxième où je me suis mis à réexaminer les sources d'une tradition musicale antérieure au choc viennois, et à les incorporer à ma musique, créant ainsi un conflit latent au sein de mon parcours musical. Depuis, chaque nouvelle œuvre est une tentative d'apaisement de ce conflit au moyen de solutions visant soit à gommer les implications stylistiques des différentes "forces" en présence, soit, au contraire — et jusqu'à présent, plus rarement — à les accentuer de sorte que l'interrogation de la notion même de style devienne par elle-même... un style. Cette dernière tendance, qu'illustre assez bien je crois, cette œuvre, pourra être qualifiée de post-moderne.

Je crois, en effet, l'dée de post-modernité fondée sur une sorte de dialogue figuratif entre le passé et le présent. J'insiste sur l'adjectif figuratif, car il fait toute la différence entre le dialogue que pouvait entretenir un Mozart ou un Beethoven avec les œuvres du passé et celui qui est entretenu par les compositeurs post-modernes. Lorsque Mozart ou Beethoven dialogue avec Bach il s'inscrit dans une descendance en le prenant à la fois pour modèle et en tentant de le dépasser. Lorsqu'un compositeur post-moderne dialogue avec Beethoven, il instaure entre Beethoven et lui une distance qui historicise son rapport avec la référence au passé, si bien qu'on a l'impression d'une superposition d'un langage sur un autre langage, de deux langages parallèles.

Le danger constitué par cette posture est que ceci peut induire une certaine superficialité dans le propos musical et dans l'attitude du compositeur à l'égard de l'organicité de la démarche compositionnelle. Puisque la non "communication" entre les deux langages ne peut, a priori, produire qu'une œuvre hybride, il est tentant, pour un créateur, de prendre à son compte l'incongruité stylistique qui en résultera en la présentant comme le choc de la nouveauté de son génie. D'autre part, les compositeurs se réclamant de la pensée post-moderne nous ont déjà montré, hélas, que cet a priori esthétique, comportant l'incongru comme point de départ, à tôt fait d'élargir ses références du passé de la musique "classique" aux musiques populaires du présent, avec tout ce que cela implique comme démagogie à l'égard d'un public souvent perdu dans la forêt des références culturelles, victime toute désignée de cette démarche.

Voilà pourquoi j'ai longtemps cru que je ne pouvais entretenir avec ce mouvement que des sympathies contingentes. Mon idéal musical aspire plutôt à un classicisme atemporel éloigné de tout travestissement, de toute dérision. La musique est, pour moi, une chose précieuse et grave, et ce, même lorsqu'elle est le lieu du jeu formel, du défi esthétique, de la "reconquête du plaisir" chère à Umberto Eco ou, même, du pastiche. Je ne suis donc pas un post-moderne type, à moins que le post-modernisme auquel je me réfère ne soit pas celui dont on parle le plus...

De plus, je me dis souvent qu'il ne servirait à rien de questionner le langage musical — en le mettant, comme je le fais, devant ses contradictions les plus aigües — si ce n'était pour questionner le processus de création lui-même... Mais au contraire d'un Schnittke qui aurait sans doute profité de la contradiction de base des matériaux exposés dans cette œuvre pour souligner l'impossibilité de leur réconciliation — dans un geste métaphysique et théâtral qui aurait à lui seul la (trop) lourde tâche d'assumer l'organicité de l'œuvre — j'ai souhaité, ici comme dans toute ma musique écrite à ce jour, qu'un sentiment d'unité finisse par se dégager à l'écoute d'une progression "naturelle" du développement des idées. Aussi me semble-t-il plus juste de qualifier cette musique, et ma musique en général, de "pan-stylistique" (à travers les styles) ou mieux, de "méta-stylistique" (au-delà des styles), plutôt qu' à proprement parler de "polystylistique".

Extrait musical

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash